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Article publié le mardi 1er avril 1997 revu le mardi 10 janvier 2023

NUMÉRIQUE

La société de l’information

Aux origines de l’informatique, l’ordinateur n’était qu’une formidable machine à calculer utilisée exclusivement par les scientifiques, comme celui qui fut utilisé à Los Alamos pour la conception de la première bombe atomique. En effet, le langage binaire de l’électronique se prête bien au calcul arithmétique et logique. Puis, avec le développement de la robotique et de la bureautique, s’étant introduite dans la plupart des lieux de travail, l’informatique est devenue un outil d’usage courant et quasi indispensable.

Introduction

Simple curiosité il y a encore un quinzaine d’années, le micro-ordinateur est devenu un système personnel de traitement de l’information qui n’est plus réservé aux premiers passionnés d’électronique et d’informatique. Il est maintenant utilisé par un grand nombre de professionnels.

Cette évolution s’est accomplie dans le sens d’une "démocratisation" de l’accès à son maniement : un PC sous Windows ou un MacIntosh n’est plus maîtrisé par des commandes absconses et des ordres cryptiques mais par des analogies de concepts familiers à tous : icônes, bureau, dossier, corbeille, répertoire, etc. Et cette révolution de la convivialité est loin d’être terminée.

Mais c’est la montée en puissance de calcul qui reste la plus impressionante des progressions : l’IBM 370/158, le plus puissant des ordinateurs en 1976, coûtait 6 ou 7 M€. Aujourd’hui un simple PC le dépasse largement en performances et en capacités, pour une valeur de 1.500 € !

Si l’aéronautique avait connu une telle progression de puissance, un Airbus ferait le vol Paris-New York en 20 minutes. Si l’automobile et le bâtiment avaient enregistré une telle baisse de prix, une voiture coûterait aujourd’hui 6 € et une maison individuelle 55 €...

Cet exposé propose un éclaircissement du concept global de "l’ère de l’information" et des mutations qui expliquent et accompagnent la transition de la société industrielle à la société informationnelle, pour conclure sur le thème plus particulier de "l’internet", le réseau de communication du XXIème siècle...

La société industrielle

Modèle structurel
Le noyau dur de la société industrielle / informationnelle :

  1. centralisation des capacités de production ;
  2. distribution en masse de biens de consommation standardisés ; le coeur de la richesse d’un acteur économique se situe donc dans les machines possédées ;
  3. spécialisation des tâches sous contrôle hiérarchique fort.

Modèle fonctionnel
Le contrat de travail sur lequel repose le bon fonctionnement de la société industrielle s’énonce en quelques règles simples :

  1. un lieu géographique défini (l’usine) ;
  2. un temps de travail synchronisé (temps complet / partiel / 3 huits) ;
  3. une palette d’emplois normalisés organisés sous une hiérarchie pyramidale à multiples niveaux ;
  4. un salaire = du temps contre de l’argent ;
  5. le but premier des travailleurs = augmentation du salaire pour constituer un K financier. Ce capital financier est dépensé en biens de consommation dont les prix baissent constamment (enrichissement sur le long terme). La boucle est bouclée.

Modèle organisationnel
L’organisation socio-économique de la production et des échanges se traduit par la combination des entreprises en branches d’activités dans une économie de marché basée sur, entres autres principes :

  1. le taylorisme ;
  2. l’investissement humain et financier continu rentable ;
  3. la loi de la rareté (ce qui est rare est cher)...etc ;
  4. Le découpage classique de l’économie : Primaire - Secondaire - Tertiaire.

Modèle métaphorique

  1. La manufacture, la machine-outil, la pyramide, l’engrenage.

Les limites du système

La société industrielle atteint ses limites. Des dysfonctionnements profonds marquent à la fois l’inadéquation des outils d’analyse et la nécessité de redéfinir les cadres de l’action humaine dans l’économie.

La théorie des rendements décroissants
Entre autres limites, celle relevant de la thérorie des rendements décroissants. Progression géométrique des investissements et progression arithmétique du rendement.

La tendance du coût marginal brut vers zéro
Le coût marginal brut dans le secteur des TIC, soit le coût pour produire une unité supplémentaire, tend vers zéro. Concevoir une puce coûte 750 M€, la dupliquer 1€ ! La conception d’un CD-Rom multimédia : de 50 à 150 K€. Sa reproduction à 100.000 exemplaires : de 1 à 2 € l’unité...

La productivité ininterrompue
Un rapport des Nations-Unies stipule qu’en 1995, les pays développés peuvent produire environ 45% de richesses supplémentaires par rapport à 1975 avec un accroissement du nombre d’emplois de 4 à 7% . Le but de l’économie de marché n’est pas de donner du travail et de créer de l’emploi mais de produire toujours plus de richesses avec le moins de ressources, d’énergie, de capital et de travail possible.

Les gains de productivité n’entrainent plus la réduction du temps de travail
1880 : 6 jours de 12 à 14 heures eu Europe ;
1936 : 6 jours de 8 heures ;
1981 : la semaine de 39 heures en 5 jours ;
2000 : les 35 heures ;
2020 : la semaine de 4 jours ?

La croissance sans création d’emploi
Les experts économiques commencent à accepter l’idée que la croissance ne créera pas d’emplois. Les pays développés connaissent tous un taux de chômage de 10% environ (selon un rapport du Wall Street Journal confirmé par l’OCDE en 1994, les Etats-Unis serait à 9,3% et le Japon à 9,6% au lieu des taux respectifs de 5,7% et 2,87%)

La gestion de la rareté
La gestion de la rareté ? L’information n’est justement pas rare mais surabondante. L’important n’est donc plus de l’accumuler mais de la gérer. Second problème : l’information aujourd’hui n’est pas payée selon sa valeur intrinsèque mais selon son support physique !

L’Encyclopédie Universalis en 20 volumes = 8.000 F vs CD-Rom = 3.000 F

Un nouveau secteur économique
Les biens informationnels sont différents des services. Le quaternaire (informatique) n’existe pas ; un outil ne fait pas un secteur.

La société de l’information

L’émergence de la société informationnelle est remarquable par les caractéristiques suivantes.

Modèle structurel

  • Décentralisation des capacités de production, délocalisation des entreprises, réorganisation des lieux de travail : Swissair délocalise son centre de réservation à Bombay. 1000 emplois suisses perdus contre 170 indiens créés 10 fois moins chers. 8 MFS économisés par an.
    Anderseen Consulting France, Janvier 96. Déménage ses bureaux de la Défense (14.000 m2) à l’avenue George V (7.000 m2) = 2 millions d’euros par an d’économies ! 1200 consultants deviennent des "nomades électroniques" en passant 80% de leur temps de travail hors-site.
  • Poussée de la production de biens "immatériels" (Microsoft, Apple)  ;
    _
  • Élagage des couches médianes de hiérarchie ( de 10 ou 7 niveaux à 4 maximum) et transversalité de l’activité : Renault et la Twingo. En 1970, 90% des ingénieurs estimaient que leur fonction était de produire des véhicules... contre 10% qu’ils devaient être produits ET achetés ! Au début des années 90, la coordination des ingénieurs de production, des responsables marketing et des commerciaux permet de concevoir un produit à moindre frais, populaire et bien positionné sur le marché.
    En France, il est noble de concevoir, acceptable de produire, honteux de vendre...
    Dans l’informatique, l’écrasement de la hiérarchie : le concepteur = chef de projet - ingénieur - analyste programmeur - programmeur -pupitreur

Modèle fonctionnel

Le contrat de travail de l’ancien modèle ne peut plus fonctionner et devra subir de profondes modifications politiques et juridiques sous la pression des changements qui marquent le passage à la société informationnelle :

  • des travailleurs nomades : L’évolution de la radio-messagerie, de l’informatique mobile et la baisse des coûts de communication permettent l’émergence des travailleurs nomades (visioconférence, télétravail...etc.) Intel France : Commerciaux et ingénieurs équipés micros portables fax/modem avec accès numéris, visioconférence et GSM : 35.000 F Travaillent 1 jour au bureau, 1 chez eux et 3 chez le client. Productivité augmentée de 30%
  • un temps de travail désynchronisé, temps choisi, temps partagé  : IBM France : réduction des bureaux de 58.000 m2, 13.500 ibmers dont 2000 nomades et 500 télétravailleurs at home (18,5%) 2500 de plus en fin 1996 soit 37% de télétravailleurs. Le commercial IBM 50% de temps chez le client contre 30% avant la nomadisation.
  • une activité, plus un emploi  : un indépendant n’exerce plus un métier lié à un employeur, mais une activité pour plusieurs clients : consultant, formateur, conférencier, professeur, concepteur multimédia, conseiller, animateur de débats.
  • troc de compétences et d’informations (notion de K d’information)  : les notions de shareware et de freeware. L’investissemnt dans des associations à but non lucratif. Dégager du temps pour agir individuellement et collectivement.
  • un but = augmentation de la qualité de la vie  : Un cadre français sur trois serait prêt à accepter une baisse de salaire conséquent à une réduction du temps de travail, même si l’avouer fait encore partie des tabous.

Modèle organisationnel

Le nouveau découpage de l’économie : Biens - Services – Information

Modèle métaphorique

La servofacture, l’ordinateur portable, le réseau, la cellule de travail, le groupware.

Problématique et perspectives

Le premier constat : la société de l’information est déjà là.

Technologies diffusantes. Le progrès technique induit par les TIC comme la vapeur au XVIIIème ou l’électricité au XIXème se diffuse dans toutes les branches de l’économie. Notion de technologie diffusante.

La loi américaine
Les Américains détiennent aujourd’hui le monopole complet des brevets de fonte des microprocesseurs, technologie extrêmement coûteuse issue de la recherche fondamentale. Ils occupent une position d’écrasante domination dans le secteur du logiciel. (Microsoft, Danone Loréal, palmarès des patrons français).

Les TIC sont à l’Amérique des années 90 ce que l’automobile était dans les années d’après -guerre : le moyen d’assoir/retrouver leur puissance.

Le terme d’autoroutes de l’information (information superhighways) provient même de l’administration Clinton/Gore avec le programme NII (national Information Infrastructure) qui fait écho à une vision néo-schumpéteriste de l’économie : les longues phases d’expansion seraient liées aux technologies de grande diffusion porteuses de possibilités nouvelles à condition d’y investir massivement.

La nouvelle domination américaine est dûe à :

  1. la valorisation de l’initiative individuelle,
  2. la valorisation de la culture d’entreprise,
  3. d’un système de financement audacieux,
  4. d’une excellente capacité à communiquer,
  5. d’une grande aptitude à donner vie à des concepts,
  6. d’une forte volonté politique de ne pas dépendre de l’extérieur.

Investissements massifs

La part des investissement en biens d’équipement aux USA :

  • 1980 : 22% du volume en TIC contre 30% pour les équipements industriels.
  • 1994 : 50% du volume en TIC contre 17% pour les équipements industriels.

Effets sur l’emploi
Les TIC créent des poches de chômages irréductibles. Les 3 phases de l’évolution de l’emploi consécutives à l’introduction de l’informatique :

  1. phase d’investissements importants impliquant des gains d’efficacité et des compressions de personnels (les années 70) ;
  2. phase d’accroissement de la qualité des biens et des services produits avec un effet neutre sur l’emploi (années 80) ;
  3. phase de création de nouveaux emplois ou métiers et apparition de nouveaux biens et services (années 90 ?) Aucune certitude pour les TIC !

Les changements perceptibles

  • Passage de la société de la peine à le société de la panne ;
  • Une nouvelle richesse : le temps libéré des contraintes économiques ;
  • Confusion entre travail et ses effets sociaux : source de peines et de sacrifices contre l’octroi d’un revenu et d’une reconnaissance sociale. Le travail tel que l’a connu la société industrielle s’efface. Les TIC à long terme devraient permettre de moins travailler et donc dégager plus de temps pour la quête de sens de chaque individu, tout en lui donnant les moyens de vivre.

Les grandes questions de demain

La démocratie électronique
Les TIC vont-elles permettre aux citoyens d’être plus informés ou plus surveillés ?

L’accès au savoir
L’écart entre ceux qui savent et ceux qui ignorent va-t-il s’accroître ou se réduire grâce aux TIC ? Fracture numérique ou non ?

L’égarement politique
Les discours des responsables politico-économiques disent tout et son contraire : coopération tous azimuts vs concurrence sauvage, un monde de communication ouvert et la concentration des géants des TIC, des télécommunication, des contenus.

Bruno B. SIMON Vice-délégué de l'ADBS Nord-Picardie, Avril 1997. Association des professionnels de l'information-Documentation

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