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Article publié le dimanche 5 juin 2016 revu le dimanche 8 janvier 2023

GAFAM

L’obsolescence programmée

La mort programmée de nos appareils. Synthèse du documentaire de Cash Investigation, 1er juin 2012. Durée 1h13.

SAMSUNG et la panne récurrente des écrans plats

Un premier entretien avec un ingénieur électronicien, Alex ALLAl-RIMBAUD démontre que la marque SAMSUNG, dont les écrans plats tombent le plus souvent en panne, utilise les composants les moins chers pour réduire les coûts. L’enquête révèle que la durée de vie moyenne d’une télévisons à écran plat de cette marque est de trois an et demi. La panne est causé par la fonte des condensateurs. Le coût de réparation auprès de la marque est facturé 380 €, alors que l’ingénieur ne charge de 21 €.

Attention, la marque étant première sur le marché, il est normal que son nombre de panne soit plus élevé ! Néanmoins, Francis DELAFOY, réparateur indépendant en Ardèche et Nicolas PATIN, enseignant chercheur à Compiègne, confirment la panne récurrente et anormale des écrans LG et SAMSUNG, en raison de l’utilisation de condensateurs de premiers prix (0,16 €) qui ne durent que 5000 heures alors que les meilleurs à 4,00 € durent 27500 heures. De plus, leur position trop proche des dissipateurs thermiques réduit aussi leur durée de vie.

Aux Etats-Unis, avec 7,5 millions de téléviseurs à problème, des consommateurs ont attaqué SAMSUNG en justice. Le fabricant s’est engagé à rembourser 300 € de réparation par téléviseur.

La question est de savoir si la marque a délibérément construit des téléviseurs bas de gamme, ou à « obsolescence programmée », ou encore s’il s’agit d’une erreur de fabrication. Suite à ce problème, SAMSUNG a changé et déplacé les condensateurs, mais utilisent des composant introuvables dans le commerce, donc irremplaçables. Florence CAPELLE, la directrice de communication de SAMSUNG France ne souhaite pas d’entretien et coupe court à toute entrevue par texto. La conséquence directe est l’augmentation des écrans abandonnés en déchetterie.

Ecrans plats et pollution

Seul un tiers des produits électroniques sont recyclés. Personne ne sachant encore recycler les écrans plats, alors qu’ils sont polluants, ils aboutissent scandaleusement dans les décharges des pays sous-développés. En représaille, les écologistes « Les Amis de la Terre » collent des étiquettes sur les produits électroniques les plus polluants dans les grands magasins. Elles dénoncent au passage industrie de l’extraction minière qui détériore l’environnement et épuise les réserves d’argent, de lithium et d’indium (10-20 ans de réserve supposée). Le philosophe Dominique BOURG (Lausanne) confirme cette tendance.

Le point de vue du marketing et des ingénieurs
Le professeur de marketing québécois Jacques NANTEL explique que raccourcir les cycles de vie permet de produire davantage. Cela n’est pas un complot, mais une responsabilité partagée entre fabricants, distributeurs, consommateurs.

La durée de vie d’un ordinateur est passée de 10 ans à 5 ans entre 1985 et 2000 selon le Centre de Recherche du Développement Durable du l’Université d’Arizona et de l’Agence de Protection de l’Environnement des USA. Richard FINLAY, directeur informatique d’une entreprise néo-zélandaise a vu ses NetBook HP tomber en panne dans un délai de 15 à 24 mois. Un cadre de HP confirme trop rapidement par mél ce délai d’obsolescence. Mais ensuite, les dirigeants ce chez HP refusent de répondre aux questions ultérieures en démentant l’information.

Deux concepteurs électroniciens (Guillaume MASSON et Michaël GIL DE MURO) confirment que, plus les cartes-mères sont petites, plus les composants sont bon marché, plus les machines sont fragiles. C’est la cas des NetBook de HP. Ils démontrent que le coût total de possession (CTP) est en faveur des produits plus chers. Mais la durée de vie des appareils n’étant pas connue, le consommateur ne peut pas faire ce calcul !

Le GIFAM, syndicat professionnel des grandes marques d’électroménager, a publié un rapport arguant que la durée de vie de l’électroménager n’a pas diminué entre 1979 et 2010. Le délégué du GIFAM, Bernard PLANQUE, est obligé d’avouer que ce rapport comparatif, basé sur une précédente étude de 1977 disparue, n’est pas valide. Mis en difficulté par Elise LUCET, il interrompt brusquement l’entretien.

Benoît HEILBRUNN, professeur de marketing à l’ESCP Europe, rappelle que l’objectif d’une grande marque est de vendre. Une technique infaillible est de créer un marché captif par incompatibilité et rendre irréparable les produits. La technique classique d’Apple.

Le cas d’école Apple

La batterie de l’iPod 2001 ne dure que 18 mois. 12.000 consommateurs lancent une « class action » contre Apple qui remplace les batteries d’un million d’iPod. Apple récidive avec son iPhone en 2007. Des avocats comme Harvey ROSENFIELD (Consumer Watchdog) et Tim HOFFMAN obligent Steve JOBS à payer les plaignants, mais sans pouvoir l’amener à modifier sa politique. Melissa JENNA, une ancienne responsable d’Apple démissionne et rejoint la petite entreprise offensive, « Ifixit » de Kyle WIENS, pour publier les techniques de réparation des iPhones. Melissa dénonce la politique d’irréparabilité constatée, l’enfermement des consommateurs et la mauvaise foi agressive d’Apple. Une caméra cachée à l’Apple Store de San Francisco confirme cette politique d’obsolescence programmée.

Une étude de L’ADEME (Agence De l’Environnement et Maîtrise de l’Énergie) a établi que le consommateur accepte le coût de la réparation au quart du prix du neuf, avec une limite au tiers du prix du neuf. Connaissant ces chiffres, les fabricants peuvent proposer des tarifs de réparation décourageants.

A Cupertino, les « Raging Granny » de Ruth ROBERTSON militent régulièrement contre l’obsolescence programmée devant l’Apple Center. Les journalistes se font vivement rejeter par le service de sécurité au siège social et aucune réponse n’est jamais donnée. Le journaliste Olivier FRIGARA, spécialiste Apple et fondateur du magazine « I create » corrobore cette politique de confidentialité et de secret paranoïaque. Il dénonce par ailleurs la politique de mise à jour inutile des logiciels.

SIRI est le modèle d’obsolescence par incompatibilité. Apple affirme que SIRI ne peut être installé sur un iPhone 4S. Le hacker canadien RYAN et le blogueur français Sébastien PAGE prouvent le contraire en l’installant sur une tablette et un iPhone 3 et 4. Le dialogue avec Dag KITTLAUS, l’auteur de SIRI devenu millionaire en revendant son application à Apple n’aboutit à rien. Son silence ayant été acheté par une clause de confidentialité, il ment en tenant la position de la firme et met fin à l’entretien.

Alors, mythe écologiste ou complot capitaliste ?
Le documentaire pose de nombreuses questions auxquelles les journalistes de Cash Investigation apportent leur réponses de manière ferme et factuelle.

Les questions

Mythe venue d’une lubie d’écologiste anti-capitalistes ?
Refus de la société de sur-consommation ?
Complot des fabricants contre les consommateurs ?
Simple mais cynique démarche marketing ?
Exacerbation mal ciblée du sentiment écologique ?
Pourquoi s’alarme-t-on ?

Définitions techniques

  1. L’obsolescence (directe) par défaut fonctionnel. Concrètement, les producteurs font ici en sorte que si une seule et unique pièce de l’appareil tombe en panne, l’appareil entier cesse de fonctionner. C’est le cas des téléviseurs, téléphones portables ou ordinateurs.
  2. L’obsolescence indirecte (par les accessoires). Ce n’est pas l’appareil en lui même qui ne peut plus fonctionner ou qui est impossible à réparer, mais des accessoires tels qu’un chargeur ou une batterie, qui ne serait par exemple plus commercialisé.
  3. L’obsolescence par notification. Le centre européen du consommateur estime qu’il s’agit « d’une forme plutôt évoluée d’auto-péremption », consistant à programmer un produit afin qu’il demande à l’utilisateur de le réparer ou de le remplacer, en partie ou partiellement. Les imprimantes et leurs cartouches d’encre en sont de très bons exemples.
  4. L’obsolescence par incompatibilité (logiciels informatiques). Cette technique consiste à rendre inutile un produit dès lors que celui-ci ne devient plus compatible avec des versions ultérieures de logiciels, ou un logiciel avec des versions nouvelles d’un système informatique.

Quelques chiffres

Pour bien comprendre les enjeux, quelques données chiffrées sont indispensables.

Les chiffres de l’ADEME :
L’ADEME est une agence étatique d’expertise qui participe à la mise en oeuvre des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et du développement durable.

  • Moins de 25% du prix du neuf : 100% des consommateur réparent.
  • 25 à 33% du prix neuf : 90% des consommateurs acceptent la réparation.
  • 33 à 50% du prix neuf : 10% des consommateurs choisissent la réparation.
  • Le seuil de consentement à la réparation est donc à 50% du prix de neuf.

Les chiffres d’Apple :
La marque constate que ses clients remplacent leur iPhone au bout de 22 mois (30 en France) selon les critères ci-dessous.

  • 48% pour les femmes, 38% pour les hommes.
  • 53% pour les 18-34 ans, 36% pour les plus de 55 ans.
  • 41% des consommateurs dont le revenu annuel est inférieur à 60K € annuels.
  • 55% pour un revenu supérieur à 60K € annuels.

Les 18-34 ans mentionnent 3 fois plus l’obsolescence esthétique que les plus de 55 ans.
Nous constatons ici le bon vouloir d’une partie des consommateurs quant à payer la réparation d’un appareil, jusqu’à une certaine somme par rapport au prix neuf. Nous découvrons par ailleurs ce que savent les grandes marques, telle Apple, sur ses clients. Il leur suffit donc de pratiquer des tarifs de réparation au delà des seuils psychologiques pour pousser à la consommation. Les entreprises leader sur un marché sont celles qui recourent principalement à cette technique.

L’élargissement au grand public de la conscience écologique est certainement partie prenante dans la volonté des consommateurs de veiller à la durabilité de leurs appareils. Mais il est malheureusement triste de constater que cet engouement pour le durable ne "dure" pas aux effets de mode (obsolescence esthétique). Nous pouvons aussi nous interroger sur le fait que si la crise ne limitait pas le pouvoir d’achat des consommateurs, ceux-ci seraient moins sensibles à la "vertu écologique" ou aux conditions de travail de la main d’oeuvre bon marché des pays sous-développés.

En conclusion, l’obsolescence programmée n’est ni une lubie d’écologistes extrémistes ni un complot de vils marchands, mais de façon plus ambigüe le résultat entre le désir du consommateur de profiter des nouvelles technologies et celui des fabricants de vendre à profits constamment augmentés. Le problème majeur posé par cette technique marketing est qu’elle continue massivement à la pollution générale et l’épuisement des ressources minières de minéraux rares. Elle coûte aussi au consommateur, qui pense acheter moins cher à court terme, mais ne comprend pas ou ne peut pas calculer qu’à long terme le coût total de possession d’un appareil durable sera moindre.

Seule une législation obligeant les fabricants à afficher les durées de vie de leur produits pourrait limiter le gaspillage, adossé à un système de récupération obligatoire et coordonné des appareils réellement hors service.

Mais nous n’en sommes qu’aux prémices d’un mouvement de développement durable qui n’a pas de bonnes nouvelles à nous annoncer sur le court et moyen terme...

Cash investigation est une émission de télévision française d'investigation diffusée sur France 2 depuis 2012. Elle est présentée par Élise LUCET. Toutes les émissions sont publiées sur YouTube depuis 2015. Le sérieux des enquêtes est reconnu par la presse de centre gauche et de gauche. Le Figaro, par exemple, reste laconique ou critique sur le sujet. Les entretiens avec la journaliste sont si difficiles que certains grands patrons se font désormais conseillés pour affronter Élise LUCET.

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