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Article publié le lundi 28 janvier 2013 revu le samedi 7 janvier 2023

Les Jargonautes...

Le mot (dièse) de la fin (du hashtag)

L’invention du terme mot-dièse qui doit, selon la commission générale de terminologie et de néologie, enterrer le terme américain hashtag cause quelques petits remous. Ça gazouille dur sur Twitter.

Tout d’abord et pour ceux qui ne gazouillent pas, le hashtag -prononcé "hache-tague"- est une « suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe # (dièse), qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage sur Twitter ».

Le mot-dièse remet une nouvelle fois face à face les tenants des néologismes et les défenseurs de la langue française. Mettons-les dos à dos...

Utiliser des mots étrangers peut être indispensable

Il est parfaitement normal d’employer des mots étrangers dans la langue française qui en contient bon nombre dans son dictionnaire. Certains mots étrangers sont entrés dans le langage courant sans traduction ; "nadir", "sport", "soprano" et "ersatz" en sont. Ceux qui adorent les néologismes verront dans les défenseurs de la langue française autant de vieux réactionnaires psycho-rigides, confinés aux horizons limités de leur langue natale et se gausseront de leurs "baladeurs", "mots-dièse" et autres traductions.

L’adoption de néologismes étrangers se défend d’autant mieux que certains termes étrangers sont tellement culturellement marqués que leur simple traduction perd en richesse. Tels la "Saudade" portugaise et le "zu Hause" allemand. Et il est donc acceptable de penser que refuser un mot parce qu’il n’est pas né sur le sol national peut être le fait d’un individu à l’esprit borné ou aux compétences linguistiques limités.

Mais les réfractaires aux néologismes répliqueront que leurs adversaires ne sont qu’un troupeau de précieuses ridicules qui jargonnent en anglais par pauvreté intellectuelle et qui en sus, voudraient donner des leçons de cosmopolitisme à la planète entière.

Il faut bien avouer ici que certains mots de l’anglosphère du monde numérique ne sont pas gracieux à l’oreille ; si j’entends hashtag, je pense immédiatement "à vos souhaits". Pas très heureux. De même certains mots ont une sonorité piégée. Si un Français prononce le mot "brozeur" son interlocuteur anglo-saxon aura une seconde de doute : veut-il parler du browser ou du brother ? Ouf, le "navigateur" nous tire d’un mauvais pas.

Traduire des mots étrangers peut être indispensable

Nous retiendrons que l’accusation de snobisme des "jargonautes" -encore un anglicisme !- n’est pas à écarter. L’anglomanie plonge ses racines à la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, rares en France étaient ceux qui parlaient réellement la langue de Shakespeare [1], mais certains aristocrates ou bourgeois prirent l’habitude de saupoudrer leur conversation savante de plus en plus de mots anglais. "Sport", "whist", "pouding", "rosbif" ont débarqué au début du XIXe siècle et blackboulé ("black bowl") toute tentation de traduction...

De fait, cette anglomanie passée fut indissociable du dandysme et celle d’aujourd’hui a donc hérité de la marque indélébile de la vanité teintée de ridicule. Mais c’est bel et bien la période du dandysme qui a consacré, entre autres termes, le mot "sport" alors que les défenseurs de la langue française conseillaient d’utiliser l’expression "exercice physique". Une syllabe contre six. Le duel entre l’exercice physique et le sport était réglé d’avance.

Ainsi donc, il est parfaitement normal de vouloir traduire un mot dans sa langue natale pour échapper au ridicule et pour faciliter la compréhension, à condition que la traduction soit simple, éloquente et un peu esthétique.

Bien que le français ne soit plus la langue dominante de l’Europe *, elle a réussi quelques belles traductions à seul usage interne.

Nos voisins européens utilisent les termes "computer" et "software" alors que les mots ordinateurs et logiciels ont parfaitement réussi à s’imposer dans l’hexagone. Nous pouvons imaginer qu’à leur naissance, ces deux mots ont fait ricaner les jargonautes. Mais le temps leur a donné tort sur ce coup-là.

L’anglais est devenu la nouvelle langue véhiculaire, l’espéranto du XXIe siècle. Plus rapide, plus ergonomique, plus "rock" que les langues latines on non latines de la vielle Europe. Portée par le dynamisme anglo-saxon, vecteur de la "puissance douce" de la culture étasunienne, elle éclipse peu à peu les autres langues internationales jusqu’au jour où le chinois la remplacera. Il est donc parfaitement normal que la mode de l’anglomanie, aux relents de dandysme du XIXe, soit de retour, ou plutôt, persiste.

Nous en arrivons même à un paradoxe : les puristes anglophones de la langue de Shakespeare s’inquiètent désormais de la rapide dégradation de leur langue, en raison de son appropriation par les peuples non anglophones qui en malmènent les sonorités...

"Mot-dièse" serait sans doute plus clair pour les francophones non initiés à Twitter et il serait très dur pour les primo-adoptant de "hashtag" de passer à la traduction française si le temps l’imposait. Mais une langue est vivante, et nous n’avons pas toujours... le dernier mot.

Et vous ? comment vous voyez-vous ? En dandy-jargonnaute du cybermonde qui chamarre ses discours de hashtags, netlinking, et headless browsers, ou en Don Quichotte indécrottable qui défend l’ordinateur et le logiciel ? Ou entre les deux ?

Alors, laissons passer quelques années et voyons qui du hashtag ou du mot-dièse l’emportera. En attendant, pour fuir le ridicule, même s’il ne tue pas, restons ouverts d’esprit. Le ridicule a fait suffisamment de ravages dans les deux camps...

Lien : Voir aussi l’article sur le jargon informatique et celui sur l’anglomanie.


[1Rappelons-nous que les ennemis russes, autrichiens, prussiens et anglais de Napoléon devaient parfois recourir au français sur les champs de bataille pour se comprendre ; suprême ironie de l’histoire...


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